Villa Serrana, ville des co-pains
- urbedall
- 28 mars 2016
- 6 min de lecture
Après la découverte d'Aigua et de tous ses trésors cachés, nous aurons du mal à reprendre nos vélos. D'autant plus que le relief ne s'aplatit pas et, bien qu'on nous dise que « le paysage est superbe », il est toujours bien plus difficile de l'admirer quand on a le souffle coupé pour autre chose, que les mollets vous brûlent et que cette satanée côte que vous avez devant vous ne se finit jamais. Au milieu d'une de ces fameuses côtes, d'ailleurs, on se demande si on n'a pas plutôt intérêt à rebrousser chemin, et faire une sorte de procrastination de la pédale.
Finalement, nous arriverons avec beaucoup de difficultés jusqu'à Villa Serrana, surnommé la Suisse de l'Uruguay – et nom d'une pipe qui a dit que l'Uruguay était plat ??
A 500m d'altitude, c'est en effet un décor helvétique qui nous accueille : non seulement du fait de ces collines tellement abruptes qu'elles ressemblent à des montagnes, mais aussi par les maisons en forme de chalet, certaines très belles, montrant à quel point Villa Serrana est devenu le coin « hype » d'Uruguay, au même titre que Cabo Polonio, en mode plus bobo, moins hippie. Ici, la nature est omniprésente ; c'était d'ailleurs l'objectif du fondateur de cette jeune ville (à peu près 50 ans), voulant faire de ce territoire une réserve naturelle unique dans le pays. Pari gagné.
Nous aurons quand même la désagréable surprise d'apprendre en arrivant que la Semaine Sainte allait démarrer : autant dire le plus gros pic touristique après l'été, et les premières vacances scolaires, trois semaines après la rentrée. Si, si. Plus prosaïquement, c'est aussi des tarifs d'hébergement qui enflent subitement. Nous décidons donc d'y rester deux nuits, avant de retourner à Aigua pour l'anniversaire de la radio communautaire, qui fêtait ces un an d'une existence déjà bien remplie de relations humaines. Mais avant de partir, nous rencontrerons un lieu qui nous a tout de suite attiré, dans ce paisible décor de montagne : Om Shanti est, comme son nom l'indique, un lieu spirituel, dédié à la méditation, au yoga, mais aussi à la bonne bouffe – pardon, à la nourriture saine : nous y goûterons le meilleur pain depuis notre départ de Bretagne. Virginia, la propriétaire des lieux, accepte de nous « embaucher » comme volontaire à notre retour d'Aigua. Chic !
En attendant, il nous fallait trouver un moyen de rejoindre de nouveau Aigua. Nos mollets se rappellent encore trop bien des côtes qu'on leur a fait subir pour ne pas les terroriser de nouveau. Et en plus, il pleut – prétexte trop facile pour des Bretons, mais quand même. Laëticia, l'employée de l'hostal dans lequel nous logeons, nous est très serviable, et nous propose d'appeler le seul taxi pouvant faire les 4km nous séparant de la route principale. Tarif : 15€ les 4km. Dehors, la pluie redouble. On fait la moue. Dans la salle commune de l'hostal, Augustin, Uruguayen en vacances, a tout entendu : « écoutez, je dois faire de l'essence et j'ai vérifié, Aigua est là où se trouve la station la plus proche. Je vous y emmène si vous voulez ». Incroyable. Tellement simple. Impensable ailleurs qu'en Uruguay, nous semble-t-il.
Augustin est basketteur, comme Céline. Il travaille dans un club, où il s'occupe des enfants. Parallèlement, il avait repris ses études pour devenir professeur de sport, mais a dû les arrêter quand est né son premier enfant, il y a un mois. Si ça ne semble pas toujours facile de boucler les fins de mois, et même si Augustin apparaît comme un enfant de la société de consommation, appréciant sa belle voiture et son portable dernier cri ou presque, il aime par-dessus tout son pays, et l'ambiance qui y règne. Comme on le comprend. Il ne rêve pas du tout d'ailleurs, d'Europe ou des Etats-Unis, nous raconte comme il peut être simple de partir en week-end ici, faire 300km en stop à la sortie du travail « et se trouver à Cabo Polonio le vendredi soir ».
Et comme tous les Uruguayens, il adore le foot. Même s'il ne le pratique, il témoigne que c'est bel et bien une religion : « lors de la Copa America (l'équivalent de l'Euro) en 2011, les matches étaient à 16h. Du coup, les écoles du pays arrêtaient la classe et il y avait une télé dans le préau, tout le monde regardait les matches de la Celeste ! » On ne peut pas reprocher au Ministère uruguayen de l'Education de connaître les bases d'une éducation réussie.
Nous arriverons une nouvelle fois à Aigua sous la pluie. Cela faisait un an qu'il n'avait pas plu comme ça, deux fois de suite en trois jours. Véridique. En fait, il suffisait d'inviter des Bretons. Du coup, le camping sauvage paraissait compromis : nous revoilà à quémander une nuit dans notre gymnase préféré. Et une nouvelle fois, nous sommes accueillis les bras ouverts, preuve qu'il s'agit bien là d'un esprit d'accueil incroyable dans cette ville. Suite à ce double passage, Maïa assimilera d'ailleurs « une bonne douche chaude » avec « une nuit au gymnase ». Mieux qu'un hôtel, quoi.
Notre petite princesse s'amusera bien à l'anniversaire de la radio, jouant « à la casquette », jeu local, variante d'un jeu universel, courant partout avec les enfants du village pendant près de deux heures.
A notre retour à Villa Serrana, comme le hasard n'existe pas, nous croisons Aude, Sasha et Nando, nos hébergeurs du début du voyage, en train de faire du stop, comme nous.Et comme rien n'est impossible en Uruguay, une famille en pick-up nous amènera tous les six dans le coffre, les deux filles confortablement installés dans la carriole.
Nous arrivons donc à Om Shanti avec un peu d'appréhension, tant notre première expérience dans le même type d'environnement, spiritualo-hippie, n'aura pas été positive. A peine installés, je pars jouer les vendeurs des délicieuses empanadas de Frederico - « Fede » - cuisinier divin du lieu, et ne l'appelez surtout pas chef... - jusqu'à la nuit tombée. Signal qu'ici, les volontaires ne chôment pas. Pendant les deux jours suivants, on accumulera les travaux en tous genres : la construction d'une étagère reconstituée à partir de bouts de bois récupérés par ci par là, la boutique de bien-être à tenir, un chantier électricité et, comme nous sommes Français, nous serons chargés de faire les repas, parfois pour 13 personnes. Car le lieu est assez particulier : si Virginia et Robert, son mari, en sont propriétaires, deux autres volontaires, Pablo et Fede travaillent (beaucoup) pour ce lieu, accompagné du fils de Virginia, Valerio. Et la frontière entre vie privée et vie publique est plutôt mince : ainsi, le couple n'hésite pas à inviter beaucoup d'amis, sans avoir ni cuisine, ni corvée de vaisselle à faire. Pratique. Même si ouvrir sa propriété n'est pas forcément facile et demande une certaine dose de confiance, disons que Virginia et Robert s'en sortent bien, avec des volontaires aussi volontaires que Pablo et Fede....
Surtout, ce bref séjour de volontariat improvisé sera l'occasion pour Céline de se tester au pain. Fede, d'une humilité remarquable, acceptera avec beaucoup d'enthousiasme que Céline lui montre sa façon de faire du pain, alors que le sien est déjà remarquable dans le contexte uruguayen. Il constatera avec surprise le temps nécessaire pour obtenir un bon levain, dans un pays où la levure et le pain fait en trois heures est la règle. Malgré la piètre qualité de la farine qu'on peut trouver ici, Céline était plutôt satisfaite de sa pâte, mais malheureusement, on ne maîtrise pas encore la chaleur d'un four à bois : alors qu'on s'en léchait déjà les babines, le pain a littéralement éclaté au feu. On en était désolés, mais Fede, lui, était déjà très content du travail fait avec son levain : « je n'aurais plus besoin de mettre de la levure, c'est super ! ».
De notre côté, à force de regarder le magnifique four à bois qu'il a construit lui-même, ça nous a donné des idées. Et puis, on a osé lui demander : est-ce qu'il serait disposé à venir nous coacher pour construire un four à pains comme lui ? Là, ses yeux s'éclairent, heureux qu'il est de pouvoir rendre service : « ça me ferait très, très plaisir. Vous savez, je finis de construire ma maison moi-même, grâce à des gens qui m'ont aidé, conseillé. Jamais je n'aurais cru pouvoir un jour construire ma maison. Alors, si je peux rendre en retour ». On espère que la vie lui rendra cette générosité au centuple !
Car Fede, plutôt taiseux mais toujours d'humeur égale, nous aura épaté, aussi, par son mode de vie. Ancien membre d'une microscopique communauté Rastafari d'Uruguay, il a décidé de vivre sans identité dans son pays. Pas de carte d'identité, et pas de carte d'électeur non plus, ce qui lui vaut une amende ici. Et même une double peine : « on dit que la Santé est publique ici, mais ce n'est pas vrai. Quand on ne vote pas, on n'a pas le droit à la Sécu. Regarde mes mains (il les montre : on voit clairement un pouce plus petit que l'autre). Je me suis cassé le pouce, et du coup, je me suis remis uniquement avec des plantes. J'ai sacrément douillé. Il y a mon pied aussi (il montre un trou béant au niveau de la malléole) ». On ne veut pas forcément en voir plus...
Ce qui s'appelle aller au bout de ses convictions. Si on a du mal à comprendre, on l'accepte, d'autant plus facilement que Fede n'en tire aucune gloire, et ne s'érige pas en exemple. Mais la situation en devient presque paradoxale quand il nous avoue reconnaître en Pepe Mujica, l'ancien Président du pays, un « homme bien, quelqu'un pour qui j'aurais pu voter, si je le faisais ». Pour nous, pas de doute : on aurait voté Mujica. Et on aurait été à l'hosto...
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