Vive les pédales!
- urbedall
- 11 avr. 2016
- 7 min de lecture
Nous avons donc quitté Villa Serrana et nos amis Pablo et Fede, en se promettant de se revoir. Avec Pablo, nous aurons rencontré le plus bel accent français d'Uruguay : ayant vécu au Québec, il parle un français avec un mélange d'accent québecois et hispanophone. Un vrai délice...
Il nous aura également expliqué l'histoire du nom si bizarre de la capitale du pays : non, Montevideo n'était ni le Hollywood sud-américain, ni la paradis de la VHS. Les conquistadors sont arrivés dans cet endroit où ils appelaient les montagnes par des chiffres – cette obsession des chiffres de la société occidentale a des racines très lointaines. Ils ont donc décidé de créer la ville à côté du mont 6, qui se trouvait à l'ouest. Voilà. Celui qui trouve l'énigme a gagné un asado (mais paie son voyage jusqu'à nous).
Après cette étape, nous considérons être sur la route du retour de notre première grande boucle à vélo. Et comme nous ne regrettons rien, nous allons partir pour un deuxième tour, « vers l'ouest » comme ils disent ici, car les panneaux de signalisation indiquent clairement la centralisation du pays : la plupart du temps est indiqué « Montevideo », et « à l'est » ou « à l'ouest ». Remarquez, c'est montrer plus de diversité que le « Paris - Province ».
Nous rentrons donc tranquillement vers la maison d'Aude, à Marindia, qui est devenu notre refuge préféré. Car après cette deuxième escapade à vélo, c'est décidé : nous passerons l'hiver à Marindia, où Aude, d'une générosité remarquable, nous a proposé de « garder » sa maison au moment où elle rentrera en France pour travailler dans les vendanges – Aude enchaîne ainsi les étés depuis quelques années, son seul vrai luxe en fait. Pour nous, c'est assez idéal : nous n'aurons pas de loyer à payer, juste les charges courantes, avec une propriétaire on ne peut plus généreuse, et qui nous invite même à construire un four à pains chez elle, avec l'aide de Fede. Il y a des fois où les choses s'enchaînent merveilleusement bien....
En attendant, nous reprenons nos vélos et évitons de justesse les grosses gouttes pour arriver à Minas, petite ville coincée entre les collines, absolument morte en cette période de semaine sainte. C'est l'automne qui arrive en Uruguay, et avec elle, des pluies qui peuvent durer plus d'un jour. Pour des pédaleurs, regarder la météo pour prévoir ses trajets est devenu une obligation.
Nous trouvons l'adresse d'un petit hostal très économique dans le centre. Economique et discret : aucun panneau à l'entrée, seule Marta, la gérante, accueille à la porte. Marta est californienne, ancienne hippie ayant posé son sac en Uruguay il y a un an. Avec quelque chose de sacrément mélancolique chez elle, vous scrutant toujours avec une espèce de sourire du désespoir. Elle vit là, dans son petit hôtel à trois chambres, les volets quasi-fermés et une déco plutôt glauque. Et surtout, Marta ne parle pas espagnol. Tout porte à croire que pour elle, les choses sont immuables et ne bougeront pas, comme son espagnol à trois mots. Incroyable de décider ainsi de vivre dans un pays et de ne pas vouloir en parler la langue. Son hôtel amène d'ailleurs des voyageurs comme elle, si bien que nous nous forçons à communiquer en anglais, sans grand enthousiasme. Autre spécificité notoire pour une gringo, elle adore le foot. Son hôtel est parsemé de posters de l'équipe d'Uruguay. Elle nous avoue d'ailleurs que son deuxième joueur préféré (après la pâle copie de Dieu) est français : c'est Mathieu Valbuena. « J'adore son côté chien fou, il court partout ». ça, il court. Mais c'est définitif : les ricains ne comprennent décidément rien au football.
Cette dernière semaine nous confirmera d'ailleurs que la religion du pays est bel et bien le ballon rond. En suivant de simples matches de qualification pour la Coupe du Monde, nous sentirons la ferveur extraordinaire des Uruguayens, d'une intensité que l'on peut voir en France uniquement pour des demi ou des finales de coupes du monde. Pour un match contre le Pérou, un écran géant est installé en plein cœur de Montevideo. Oui, oui, le Pérou. Cette ferveur est vraiment culturelle, et touche tout le monde, des voyageurs à dreadlocks aux petites filles à l'école primaire. Pacha, la fille de Nando (le copain d'Aude), en est un bel exemple, alors même que ses parents ne sont pas des aficionados du foot. A la question pieuse de sa maîtresse demandant à ses élèves « qui est notre Seigneur », voulant par là montrer un exemple de mots commençant par la lettre J, elle répondit instinctivement et sûre de son fait : « Luis Suarez ! » Pas grave s'il n'y a pas de J, le Seigneur a tous les pouvoirs.
En repartant de Minas, nous n'échapperons pas à la pluie cette fois. Elle nous accompagnera toute la journée de route, et nous arriverons trempés à Solis de Mataojo, où une autre douche, froide aussi, mais plus agréable nous attend, dans les douches des camionneurs de la station service du village – mais pas de marcel ni de clé à molette en vue dans la salle de douches, nous y étions tranquilles. Le gars de la station nous remplira même notre bidon d'eau en partant. Puis nous décidons de vérifier l'hospitalité au gymnase municipal. Alors que nous demandons à l'employée de service s'il serait possible de poser notre tente sur le terrain de foot, elle nous renvoie vers l'adjoint aux sports, qui tient une gargotte de hamburgers sur la place. Voilà des édiles qui gardent les pieds sur terre... Mais Freddy, entre deux préparations de tortas, est désolé : après s'être renseigné auprès de la Maire, ce ne sera pas possible : il y a peut-être un match ce soir. « Et sur le terrain de jeux, à côté ? » « Non plus ». On a compris : Aigua reste une terre d'accueil exceptionnelle. Mais Freddy nous dirige vers un petit parc au bord de la rivière, où nous plantons notre tente, en essayant d'éviter les détritus et les préservatifs usagés. On a connu mieux, mais on pourra dormir.
Enfin presque : nous sommes réveillés à 1h du matin par un policier, venu rencontrer ces campeurs inconnus. Nous lui expliquons notre cas, avec des violons : pas de camping, un voyage à vélo, le devoir de s'arrêter car nous avons une petite fille de trois ans et demi seulement, rendez-vous compte monsieur l'agent, oui, vous pouvez sortir votre mouchoir.... « Non, non, pas de problème, vous pouvez rester le temps que vous voulez, c'était juste pour savoir qui vous étiez ». Simple comme la police uruguayenne, qui aurait quand même pu trouver un autre horaire pour venir nous rencontrer, on aurait même payé le café. Mais en repensant aux capotes, on se dit qu'il doit se passer des choses (soi-disant) inconvenantes à notre Seigneur par ici, une fois la nuit tombée...
Le lendemain, c'est le soleil qui est de retour pour notre dernière étape jusqu'à Marindia, où nous retrouverons Aude, Sasha et Nando dans leur petite maison. A 7 km de l'arrivée, nous apercevons, comme un mirage, la fabrique d'une des seules bières artisanales d'Uruguay, que nous avons pu apprécier lors des rares occasions qui se présentaient à nous, remplaçant de fait la fadeur des deux bières industrielles que l'on trouve partout, Pilsen et Patricia. Le duel Kronenbourg-Heineken a des avatars un peu partout.
Etait-ce un mirage ? Alors que nous nous informons sur les possibilités d'acheter la bière directement à la fabrique par cartons de 12, tant qu'à faire, car il faut se réchauffer le corps en hiver, l'employé nous informe que le patron est français, comme nous. Bizarrement, ça nous fait penser à quelqu'un. Nous n'avons pas le temps d'y réfléchir que le voilà qui nous accueille : Fabrice est la première personne avec qui nous avions discuté de la vie en Uruguay, il y a un an, via Skype. Nous avions eu son contact par nos amis du Champ Commun et avait à l'époque un projet de brasserie. Celle-ci a vu le jour, et de quelle manière : elle a reçu la médaille d'or d'Amérique Latine pour une de ses bières et a déjà produit quelques milliers d'hectolitres. Nous repartirons avec trois bières offertes, la promesse d'avoir des tarifs réduits la prochaine fois, et une invitation chez Fabrice, qui habite près d'une certaine route 109 : « venez jusqu'à Rocha en bus et je viendrai vous chercher ». Oui, ben tiens, on ne regrettera pas les vélos pour une fois...
Nous fêtons donc nos retrouvailles avec Aude en ouvrant ces bonnes bouteilles, tandis que Maïa les fête avec Sasha. La glace s'est définitivement brisée entre les deux fillettes, qui ne se quittent plus. Cela fait un bien fou à Maïa, on a l'impression, d'être avec quelqu'un de son âge. On a donc décidé de prolonger ce petit bonheur jusqu'à son anniversaire.
A 35 km de Montevideo, face au Rio de la Plata et d'une belle plage sauvage, Marindia est une bourgade coupée en deux par la Interbalnearia, la 4 voies d'ici : au sud, au bord de plage, la bourgeoisie, au nord, le quasi-tiers-monde. On aura donc une occasion de s'installer dans ce petit concentré d'Uruguay pendant quatre mois, de vivre au rythme uruguayen, et, luxe ultime, d'avoir une merveilleuse bière artisanale à 7 km de là...
Au final, nous ne regretterons rien de ce choix de parcourir le pays à vélo, même s'il y a eu des hautes et des bas, les bas étant principalement les hauts du relief géographique du pays (et inversement).
Au bilan de l'aventure : quatre gros mollets, quatre autres belles cuisses, trois roues crevées, un pignon défaillant et, ô miracle, un rayon cassé tout juste arrivé à Marindia. Un peu moins de 30€ de frais d'entretien et de réparation. Et entre le coût des transports en bus et la liberté que nous offre le vélo, en économisant notamment un certain nombre de nuits d'hôtel par le camping sauvage et les magnifiques rencontres du voyage, le vélo reste un moyen de transport très, très efficace. Ivan Illich avait montré, dans les années 70 déjà, que si on cumulait tout le temps de travail nécessaire à l'acquisition et l'entretien d'une voiture, les dépenses en carburant et les impôts liés à la construction des routes par rapport à l'utilisation moyenne d'une voiture, nous roulerions en réalité à 6km/h. Même sur la 109, on a fait le double. Pas de doute, le vélo est LE moyen de transport de l'après-pétrole. Alors autant s'y mettre tout de suite !
PS : alors, cette énigme ? Comme vous avez été sages et avez lu jusqu'au bout, on vous donne généreusement la solution.Et l'asado est offert à tout le monde. Il faut juste faire l'effort de se déplacer.
Mont 6 qui se trouve à l'ouest, ça donne :
Mont : Monte en espagnol
6 = VI en chiffres romains et donc vi
De l'ouest : del oeste = deo
Et paf : Montevideo. Une charade comme ça, Carambar est largué grave.
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