La Foire aux Puces
- urbedall
- 12 avr. 2016
- 6 min de lecture
Après toutes ces semaines de baroude, ce bivouac d'une semaine à Marindia, qu'on espérait reposant, fut plutôt épuisant. Un voyage comme ça est une perpétuelle organisation. Et les moments d'immobilité sont d'abord des moments de grande logistique : la lessive du mois - des sacs de couchage qui sentent la lavande, quel bonheur! -, des vélos à entretenir et réparer, des cheveux à couper (rassurez-vous, ce ne sont pas ceux de Maïa) et, aussi, l'opportunité d'aider Aude et Nando sur les travaux de la maison. Quand nous sommes arrivés, ils commençaient une nouvelle couche de torchis dans la chambre de Sasha, qui sera celle de Maïa bientôt. Et comme les nuits peuvent être froides en hiver, ce sera peut-être Maïa qui en profitera la première : logique, donc, qu'on y participe, et nous repartirons avec la satisfaction d'avoir terminé ce chantier.
Et ce fut aussi un vrai bonheur de retrouver Aude. Depuis notre arrivée, elle aura toujours été de bon conseil, mais sans jamais nous forcer, sans aucun accent paternaliste. Simplement heureuse d'accueillir des voyageurs, et de rendre un peu les milliers de coups de main qu'elle a pu bénéficier lors de ses voyages. Nous sommes donc ses heureuses victimes, et c'est très bien comme ça. D'ailleurs, Aude est connue à Marindia pour accueillir les voyageurs : les voisins rencontrant des mochileros (des « gens en sacs à dos ») indiquaient naturellement ce refuge connu de tous. Jusqu'à un certain point : « il y a eu des groupes qui ont vraiment abusé, se souvient Aude, se servant dans le frigo, ne faisant jamais le ménage ou la vaisselle. On a du mettre le hola, après un été où ça s'est très mal enchaîné ». Mais l'adresse est toujours valable pour les gens recommandables – et on s'inclut modestement dedans. Ainsi, le soir de notre arrivée débarquèrent également Paul et Josée, un couple Chilo-Argentin, voyageant depuis 4 ans ensemble, vivant de l'artisanat, en fabriquant de magnifiques bijoux, dont nous profiterons pour notre plus grand bonheur.
Et puis, un autre facteur nous aura pas mal fatigué : une difficile colocation avec des puces particulièrement coriaces. Celles-ci ont adoré la peau de Maïa et Céline, encore plus celles de Josée et Paul. Moi, ma peau doit leur être indélicate, et c'est tant mieux. Il faut dire qu'à Marindia, c'est le royaume des chiens. Ils ont d'ailleurs dû manger tous les coqs du quartier : ce sont eux qui s'excitent, tous ensemble, à l'aube, remplaçant le chant du coq. Et des dizaines et des dizaines d'aboiements en même temps, ce n'est, vraiment, pas plus agréable. Et en plus, donc, ils ramènent leurs puces. On soupçonnera Maïkol, le nouveau chien d'Aude, qu'on a aussi retrouvé, et le chat de Maria, d'être les dealers de puces de la maison. Chaque matin, les réveils de Paul et Josée seront plus difficiles ; Josée, notamment, ayant le dos comme flagellé par ces petites bêtes féroces. « Les puces nous ont mastiqué » finira par nous dire Paul, les yeux bouffis, le dernier matin. Pour Céline et Maïa, c'est sans doute moins pire, mais les cicatrices sont persistantes, tout comme le doute d'en avoir ramené avec nous dans notre sac....
Maïa, elle, oubliera facilement ses boutons. Chaque matin, elle retrouve Sasha, qui deviendra en quelques jours sa grande copine. Tant et si bien que le jour du départ, Sasha pleurera à chaudes larmes. Mais elles se retrouveront : nous avons d'ailleurs décidé de l'inscrire à la crèche de Sasha. Elles y passeront une semaine ensemble, semaine d'intégration pour Maïa avec sa copine, avant son départ pour la France. Aude, encore une fois, nous servira d'intermédiaire et nous introduira auprès des deux responsables de cette petite crèche, une mère et sa fille. Toujours le sourire aux lèvres, elles semblent très contentes d'avoir une petite Française, voyant même là une occasion d'apprendre des rudiments de français. Pour Maïa, ce sera l'inverse : en plus d'être avec des enfants de son âge, elle pourra apprendre l'espagnole en autonomie. Et il est temps, tant nous la sentons frustrée de ne pas pouvoir communiquer aujourd'hui. En fait, il n'y avait qu'un seul problème, mais pas des moindres : une crèche n'a pas le doit d'accueillir des enfants de 4 ans. Mais l'Uruguay étant l'Uruguay, nous l'avons inscrit préalablement avant son entrée en classe, à 3 ans et 364 jours....
Toutefois, l'école reste une problématique importante pour nous dans l'optique de s'installer ici : de nombreux témoignages nous ont convaincu que le niveau de l'éducation ici est catastrophique – même si c'est l'un des meilleurs d'Amérique Latine. En primaire comme au lycée, il n'y a que 4 heures de classe par jour. Et le lycée français sélectionne soigneusement ses entrants par des tarifs prohibitifs. Pour y remédier, l'Uruguay, comme le voisin argentine et comme un peu partout dans le monde, a cru au mirage d'une progression de l'apprentissage par l'informatique. Ainsi, des tablettes ont été distribuées à chaque élève il y a quelques années. Avancée sociale majeure, disait-on à l'époque, mettant cette décision au crédit des gouvernements progressistes de ces deux pays du Cône Sud. Mirage du progrès : dans certaines écoles argentines, ces ordinateurs high tech ont été utilisées trois heures, soit le temps de la batterie : ces écoles n'ayant pas d'électricité, elles ont donc été rangées dans un placard, et le soi-disant progrès dans les oubliettes de l'Histoire rurale des déshérités.
Durant ce bivouac marindien, nous irons visiter Fred et Utah, un couple allemand qui a créé à Atlantida, à 10 km de Marindia, ce qui est sans doute le projet de permaculture le plus abouti d'Uruguay. Plus exactement, un projet de « forêt comestible » : l'idée est d'appliquer les principes de l'écosystème d'un forêt, en y implantant des fruits et des légumes, jouant sur la complémentarité des différentes plantes. En 7 ans, Fred et Utah ont planté plus de 12000 arbres, sur 47 hectares, à deux, et sans un investissement matériel très conséquent. C'est sûr, ce sont de gros bosseurs. Et s'ils semblent assez aigris de l'Uruguay, ce pays de « fonctionnaires » (comprenez, chez eux, « fainéants ») et ont retiré leur enfant de 13 ans du système scolaire, leur réalisation reste extraordinaire. Fred nous promènera dans une partie de ce jardin d'Eden, nous montrant notamment qu'il est possible de cultiver des bananes en Uruguay. Nous comprendrons aussi les difficultés du maraîchage biologique ici : l'herbe folle des champs, qu'adore le cheptel imposant de vaches du pays, est une plante redoutable, ne voulant rien laisser à ses collègues voisines. Fred et Utah y ont remédié par des heures de travail et d'expérimentations, implantant des buttes composées du compost réalisées année après année. De même, le soleil d'été est tellement puissant qu'ils doivent attendre que les grands arbres de la forêt atteignent leur maturité pour apporter l'ombre salvateur nécessaire aux autres plantes. Un système basé sur la nature et l'intelligence humaine. Malgré le côté « ronchon » de Fred, nous décidons de proposer nos services pour cet hiver. Ça tombe bien : cela fait un an que le couple accueille des volontaires. On s'est donc donné rendez-vous pour le mois de juin.
Et puis, en Uruguay, cyclistes nous sommes, cyclistes nous resterons. Nous ne pouvions donc pas passer à côté du merveilleux projet, unique au monde si on a bien compris, de cinéma itinérant marchant à l'énergie de... vélos ! C'est Sylvie, amie d'une connaissance, que nous avions rencontré via Skype, qui nous en avait parlé. Elle et son compagnon avaient été les colocataires de Diego Parodi, l'initiateur de ce projet efectopedal (http://www.efectocine.com/uc_557_1.html). Nous assisterons donc à la dernière séance de la saison, à Montevideo, en regardant un documentaire intéressant et ô combien pertinent sur les places respectives des voitures et des vélos dans le monde, grâce à une vingtaine de vélos et les mollets de plusieurs cyclistes se relayant joyeusement pour permettre à tous les autres, allongés dans l'herbe, de profiter d'une séance gratuite de cinéma. Admirable. Encore plus admirable sera l'accueil que nous réserveront Diego, sa compagne Mariale et leurs amis Fede et Laura. Prévenus par Sylvie, ils nous accueillirent comme des amis, alors même que nous sommes à la fin de la séance, et que c'est l'heure, pour Diego notamment, du démontage intensif de tout ce matériel. Nous rentrerons totalement héberlués de cet accueil, comprenant bien qu'en Uruguay, les relations entre être humains semblent vraiment uniques. On se promet de se revoir bientôt tous ensemble. Quelle pêche ça donne, ces rencontres !
Pour finir, nous resterons le 4 avril avec nos nouveaux amis à Marindia. Quatre jours après l'anniversaire de Josée, c'était le tour de Maïa. Et c'était comme si elle avait trouvé une seconde famille : de Josée et Paul, qu'on connaît depuis 5 jours et qui lui ont confectionné un magnifique collier, à Aude qui, malgré sa précarité monétaire, est revenu des courses avec une petite surprise, tout le monde aura célébré les 4 ans de notre princesse, chantant en choeur son premier « feliz cumpleanos » tandis qu'elle soufflait ses bougies sur le premier gâteau au chocolat uruguayen de Céline. Des moments réellement émouvants, qui nous permettent de croire que, dans ce monde, on peut être partout chez nous. Et, plus prosaïquement, qui nous auront fait oublier ces satanées puces.
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