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Rosario, rouge comme le Che, vert comme l'espoir

  • urbedall
  • 18 mai 2016
  • 8 min de lecture

300 kilomètres en 4 heures. Oui, 4 heures, et non 4 jours, ce qui pour nous serait déjà un véritable exploit. L'Argentine est bien trop grande pour nos mollets et ce voyage entre Buenos Aires et Rosario, deux villes voisines pour les Argentins, nous le ferons donc en bus. A l'arrivée, c'est Ignacio, dit « Nacho », le gérant de l'hôtel de Punta del Diablo qui nous accueille. Sensation étrange d'être hébergé gratuitement chez quelqu'un pour qui héberger des gens est la principale source de revenus. La différence, c'est que depuis notre passage à la Pointe du diable, Nacho est devenu un ami. Et il est là chez lui, non sur son lieu de travail. Originaire de Rosario, il y revient tous les ans, après la saison, avant de rejoindre sa compagne Judith à Barcelone. Comme Aude, cela fait quelques années que Nacho ne connaît pas l'hiver ; c'est donc un homme riche, en vitamine D en tout cas. Venu nous chercher au terminal de bus, il nous emmène dans la maison de « week-end » de ses parents, dans la banlieue plutôt chic de la ville – chic à la mode Argentine quand même, où, par exemple, les routes en terre existent tout autant que celles asphaltées.

Là-bas, il nous montre notre chambre : c'est la sienne en fait. Nous protestons, en sachant très bien qu'il ne reviendra jamais sur sa décision. « Par contre, ouvrez la fenêtre, on vient de finir la peinture ». En nous expliquant qu'il a terminé de peindre la veille à 22h avec son neveu Juan Cruz, nous comprenons que la chambre a été repeinte avant notre arrivée, et un peu pour elle. Une tel accueil, tant d'efforts pour bien recevoir des personnes rencontrées 4 jours seulement, 2 mois avant, nous impressionne, nous met mal à l'aise même, tant nous ne croyons pas mériter tout cela. Nacho nous fait la visite de la petite maison. Dans le salon trône un portrait de Maradona embrassant le maillot de l'Argentine, juste après avoir marqué le « but du siècle » contre l'Angleterre lors de la Coupe du Monde 1986. Un but qui enchanta le monde entier, à part bien sûr Mme Thatcher. « C'est mon frère qui me l'a offert. C'était mon cadeau de mariage ». En Argentine, on ne se marie pas forcément devant Dieu, mais on se marie toujours un peu avec Diego.


Il est bon, parfois, de s'arrêter dans les hôtels, même si, pour des raisons financières notamment, nous avons toujours privilégié le camping, officiel ou sauvage. Cette première rencontre à Punta del Diablo nous avait enchanté ; pendant ces quatre jours à Rosario, nous apprendrons à mieux connaître notre hôte, sa philosophie de vie, ses valeurs « anarchisantes » et son profond goût pour le voyage et la rencontre. Une posture qu'il l'a fait s'éloigner de ses amis, déplore-t-il : « maintenant, quand je reviens à Rosario, je fais du foot avec des amis, mais il y a tant de choses qui nous séparent ; leur vie est bien rangée, ils ne comprennent pas trop l'intérêt de voyager ». Nul n'est prophète en son pays, dit-on. Nous apprendrons aussi que dans sa vie antérieure, Nacho était avocat. « Au bout de dix ans, j'en ai eu assez de ne pas assez défendre mes convictions, alors j'ai quitté la profession ». Une chose mal comprise par ses amis, tant c'est un métier prestigieux ici, comme en Europe. Mais le prestige, Nacho s'en fout. Dans ce voyage, on a effectivement rencontré des personnes moins humbles sur leur passé professionnel...


« Mais pourquoi vous êtes ici ? Il y a des villes bien plus intéressantes ! » En apprenant que nous sommes venus en touristes, ce cobrador rencontré dans la rue – un de ces gars qui attendent que les voitures se garent pour demander à leur propriétaire un pourboire pour les « surveiller » - n'en revient pas. Rosario n'a rien d'une ville touristique certes, mais cette cité recèle des trésors insoupçonnés avec un je-ne-sais-quoi d'esprit révolutionnaire et populaire. Ce n'est pas le berceau de Che Guevarra pour rien. Ainsi, elle est considérée comme une des dix villes les plus vertes d'Amérique Latine. Et pour cause, elle regorge de parcs et jardins, avec notamment une promenade verte sur les bords du Rio de la Plata, où les Rosarinos viennent flâner, se poser, boire le maté, jouer au foot ou faire du jetslag – un jeu de funambule, sur une corde attachée à deux arbres. Et si la terre permet de se reposer, elle permet désormais à des centaines d'habitants de la ville de se nourrir et même de gagner sa vie. Depuis 2001, quand la crise économique a touché cette ville d'1,5 millions d'habitants, berceau d'une industrie automobile en pleine perdition, la municipalité a décidé d'encourager les familles pauvres à cultiver des parcelles de terres gratuitement. Au départ, rien n'était simple, et il fallait d'abord évacuer les décharges à ciel ouvert qu'étaient devenues ces terres improductives. Mais dans une ville où 60% de la population était en-dessous du seuil de pauvreté, il y en eut, des volontaires. Ironie du sort, c'étaient notamment des paysans de l'intérieur, chassés de leurs terres par l'industrie du soja OGM, venus remplir les faubourgs et bidonvilles de Rosario. 15 ans après, ce sont 1800 jardiniers qui travaillent sur des parcelles - huertas en castillan - réparties un peu partout en ville dans les principes de l'agro-écologie et donc sans pesticide, dont 250 sont producteurs à plein temps, vendant leurs productions sur les marchés, dans les cantines et restaurants de la ville. Et le mouvement a pris de l'ampleur : une « agro-industrie » solidaire a vu le jour, proposant des cosmétiques et des légumes sous vide à la population. Et l'idée est aussi d'essaimer, notamment chez les particuliers ayant un lopin de terre. Ainsi, comme nous avions préalablement contacté Javier, une des chevilles ouvrières du programme d'agriculture urbaine de la ville, celui-ci nous avait invité à une rencontre sur les « potagers à la maison ». Programmé à 18h, la salle est quasi-comble, une bonne centaine de personnes ont pris place pour écouter les conseils ultra-pratiques des paysans déjà installés, démontrant qu'il est possible de cultiver sur un tout petit espace, y compris sur une terrasse. Javier, lui, est posté à son ordinateur, faisant défiler les diapositives du Power Point. Nous hésitons à aller le déranger. On aurait eu tort de ne pas le faire : il nous reçoit avec de grands abrazos, tout content de rencontrer cette famille cyclologiste, laissant de côté la présentation, et sa collègue présentatrice. Nous nous excusons : nous ne pouvons pas rester plus longtemps , mais nous nous promettons de revenir. Nous repartirons avec l'agenda du jardinier en biodynamie créé par le programme d'agriculture urbaine, indiquant, notamment, comment travailler avec la lune. Une mine d'or. « Ne le dites à personne, sinon tout le monde en voudra un ». L'Argentin est décidément très accueillant.


Nacho nous emmènera à un autre lieu fort des alternatives rosarinas. La Toma est un ancien centre commercial, repris par ses salariés lorsque le propriétaire est reparti avec la caisse, jugeant l'endroit trop peu rentable pour ses ambitions. Depuis, cette coopérative est devenue à la fois une cantine pour étudiants, un centre culturel proposant cours de danse, de théâtre et de yoga, une bibliothèque - dénommée « Frederich Engels », le ton est donné -, un café et un magasin proposant les produits de base à prix cassés et un éventail de fruits et légumes fourni par un des jardiniers des huertas de la ville, donc sur les principes de l'agro-écologie. Tout cela à des prix très populaires, et en plein cœur de la ville. Confrontés à une crise très dure il y a une quinzaine d'années, les Argentins ont su relever la tête, notamment avec ce type de micro-projets, en mettant le collectif et l'autogestion au centre de leur philosophie, une vingtaine d'années après une dictature dont le but avoué était de faire disparaître tous les éléments un peu rouges de la société. Dans la ville de Che Guevarra, le collectif n'est toujours pas un vain mot.


Et puis, Rosario est aussi une ville de football. Obligé : c'est ici que Lionel Messi a fait ses premiers pas de footballeur. Au grand dam de Nacho, ce fut au Newell's Old Boy, le club rival de celui de son cœur, Rosario Central. Mais ces temps-ci, il a de quoi se consoler : son équipe est encore qualifiée dans la Copa Libertadores, la Ligue des Champions d'ici. Et une moitié de la ville est en pleine effervescence, car le quart de finale contre le Club America de Colombie est le jeudi suivant notre arrivée. L'autre moitié se console, en se disant qu'ils ont enfanté le meilleur joueur du monde – actuel, cela va sans dire.

Nacho me propose d'aller voir le match. En tant que socio – il a acheté une carte de socio pour... dix ans ! - il connaît tous les rouages du club. Finalement, les places s'étant vendues comme des petits pains, il n'en reste que dans la tribune la plus chère, qu'on nomme entre nous « celle des bourgeois ». Alors que je réfléchis si je dois mettre 40€, pour voir ce match - 14 de plus que dans la tribune populaire, Nacho me double : « je te paie la différence ». Une fois encore, la protestation restera vaine et je me sentirais bigrement gêné de ce cadeau insensé. Que je ne regretterais pas : l'ambiance dans ce stade est absolument délirante, l'entrée des joueurs étant accompagné d'un feu d'artifice. Carrément. Inutile donc d'essayer de décrire la liesse lors de l'ouverture du score par le « Central » d'une frappe de 30 mètres en pleine lucarne. Et toute la partie, un stade entier, même chez nous, chez les bourgeois, qui chante en choeur et avec un réel talent leur amour pour leur club. Incroyables que ces Argentins : réputés très machos, et il y a souvent de quoi, mais capables d'exprimer leurs sentiments footballistiques de manière très romantique, par des chants d'amour ou des bannières proclamant : « j'ai besoin de toi pour vivre ». Oui, oui, il s'agit bien de football. Mais une passion qui, parfois, déborde, avec une violence toute masculine. A l'entrée dans l'arène, le visiteur novice est frappé de voir une rivière entourant le rectangle vert, séparant les joueurs des supporters. « C'est pour que les supporters n'envahissent pas le stade, m'explique Nacho. Lorsqu'il a été décidé de remplir la fosse d'eau, c'était juste après qu'un supporter du Central soit rentré sur le terrain pour frapper le gardien de Boca Juniors ». Passons ces éléments radicaux : ce soir-là, un supporter de Rosario Central est né.

La soirée a été particulièrement macho, effectivement. Pendant que les gars étaient au stade, les meufs se faisaient une soirée filles, à danser, s'avaler une pizza et regarder un dessin animé en mangeant du chocolat. Une spécificité tout de même : Maïa s'est passionnée du baby-foot de Nacho, instrument plutôt réservé aux mecs ici aussi. Et elle ne cesse d'en redemander : « Papa, c'est quand qu'on refera une soirée filles ? Mais ne t'en fais pas, on fera des soirées foot aussi ». Ouf. Même si une certaine lucidité me permet de distinguer sa préférence.


Et puis, nous avons aussi un peu parlé d'avenir avec Nacho. Etonné de savoir que nous réfléchissons à rester en Uruguay, nous lui précisons que le lieu qui nous a le plus plu est Punta del Diablo, là où est son hostel. Et qu'il va nous falloir trouver du travail pour l'été prochain. Avouons-le, avec une petite idée derrière la tête, mais tellement utopique qu'elle nous semblait inaccessible. Mais nous sommes accompagné par un utopiste, justement. Et sa réponse fut la plus naturelle du monde : « et si vous veniez travailler à l'hostel ? ». On n'en croyait pas nos oreilles. Et non, notre niveau d'espagnol, disons, moyen, ne l'effraie pas. Et oui, il est ouvert à développer son lieu de diverses manières, qui peut aller d'un potager permaculturel à la fabrication de crêpes. Il reste encore à confirmer cette incroyable nouvelle, mais il semblerait bien que la magie des rencontres a, encore une fois, opéré....


 
 
 

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