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Froide sédentarité

  • urbedall
  • 14 juin 2016
  • 7 min de lecture

5°C. Chaque matin, c'est le même rituel, au sortir du lit : on a beau taper sur le thermomètre, la jauge n'augmente pas pour autant. Et une petite voix dans la tête qui nous dit : « aaaaaah, c'est pour ça ». Pour ça qu'on se lève la nuit pour pisser des bidons de trois litres. Pour ça que le bout du nez est tout dur, tout froid. Bienvenue en Uruguay, où le chauffage la nuit n'existe pas pour le peuple. Nous avons heureusement décidé que Maïa ne ferait pas partie du peuple : le radiateur à huile que nous avons acheté tourne toute la nuit dans sa petite chambre perchée au premier étage. Nous posons nos limites, avouons-le, à « vivre comme le peuple », des limites apparemment bien supérieures à celles d'Aude. Il ne faudrait pas non plus dégoûter Maïa de l'Uruguay, et pire, de voyager. Pour le reste, on s'est équipé comme on a pu, découvrant les vertus des bouillottes au fond du lit – un vrai bonheur – et achetant le bois le moins cher du quartier pour la cheminée. Moins cher, donc mouillé. Mais vraiment, vraiment mouillé. Il a fallu emprunter la hache de Dumas, le gérant du camping, pour recouper le bois en petits morceaux et qu'il accepte de brûler. C'est vrai que le type qui nous l'avait vendu n'était pas très fier de lui. N'ayant pas de monnaie à nous rendre, il s'assoira sur l'équivalent de 8€ : « non, c'est pas grave, me dit-il en s'empressant de remonter dans sa voiture. Tu me paieras quand tu pourras ». L'Uruguayen peut être malhonnête. Mais il est alors mal à l'aise.

En général, nous vivons donc dans 4m² : l'espace compris entre la cheminée et notre radiateur. Entre les deux, un canapé, deux chaises, un table basse qui sert de table à dessiner pour Maïa, de plan de travail de cuisine pour nous et de table à manger pour tout le monde. Il faut dire que nous faisons face à une vague de froid jamais vue depuis 4 ans, la consommation de gaz et d'électricité explose. Après les inondations, le froid polaire : il ne fallait pas laisser des Bretons diffuser leurs ondes celtiques, donc froides et mouillées dans le pays. Une fois que les autorités auront découvert le pot aux roses, je ne donne pas cher de notre peau dans le pays.

Heureusement pour nous, ici, l'électricité est gratuite. Rien à voir avec un quelconque projet social de l'Etat. C'est qu'ici, chez les « Indiens » de Marindia, il s'agit plus d'un projet pirate : c'est bien la moitié des maisons du quartier qui sont branchés illégalement au courant, comme dans tous les endroits pauvres du pays, la compagnie nationale d'électricité et l'Etat fermant plus ou moins les yeux. Plus ou moins, car de temps en temps, un camion vient couper les câbles illégaux, mais il y a alors très peu de travail : comme les employés de la compagnie d'électricité ont tous au moins un membre de leur famille dans cette situation, l'un d'eux est chargé d'avertir le quartier de la venue du camion coupeur, et le téléphone arabe marche alors à plein régime : en une heure, tout le monde enlève ses câbles et plus personne n'a d'électricité, le temps de l'inspection. La société uruguayenne roule sa bosse ainsi, entre système D et solidarité. Rien d' « économiquement rentable » ou de forcément équitable pour ceux qui paient leurs factures, mais tout de profondément humain.


Nous commençons donc à nous faire à notre quartier avec son charme tout latino : si nous sommes entourés de maisons et de petits commerces, la vie ici s'apparente bien plus à la campagne qu'à une cohabitation en lotissement. Comme partout en Uruguay, passés les grands axes et les grandes villes, toutes les routes sont en terre, défoncés, nous obligeant à faire des courses en slalom lorsque nous enfourchons nos vélos. Et puis, en plus du petit potager, qui fait pousser tant bien que mal, vue la quantité de sable, quelques tomates et de la roquette, nous partageons le terrain avec quatre poules et un coq. C'est celui-ci, maintenant, qui nous réveille le matin, concurrençant enfin les furieux aboiements des 15387 chiens du quartier. Maria, la voisine et amie d'Aude étant également partie en Europe pour l'hiver, nous avons donc dû nous reconvertir en éleveurs de volailles, pour ne pas voir les gallinacées crever de froid. Maïa prend d'ailleurs parfaitement en main son rôle de paysanne, une impression renforcée par la salopette trouvée dans une zone de gratuité, - avec quelques autres fringues moins élégants mais tout aussi utiles - et qui lui va à merveille. Avec un tel équipement, c'est elle qui s'engouffre chaque matin dans le poulailler pour leur donner à manger, qui conduit presque (oui, allez, presque) toute seule la brouette de foin pour leur cabane, et qui les fait sortir de temps en temps, pour qu'elle prenne un peu le soleil. Le plus difficile étant, bien sûr, de les faire rentrer : on s'aperçoit au fil du temps à quel point ces bêtes à bec sont d'abord très bêtes, préférant apparemment se faire bouffer par le chien du voisin plutôt que de rentrer dans leur poulailler. S'en suivent quelques courses-poursuites mythiques, dont Maïa raffole. En spectatrice, bien entendu. Nous, on s'en est vite lassé.

Notre vie est aussi rythmée par le fait maison : après trois mois de baroude, nous retournons au fourneau, notamment Céline qui nous fait redécouvrir avec bonheur les petits beurres et les crêpes bretonnes – car ici, chose improbable, le beurre salée (le vrai beurre, quoi) se trouve à tous les coins de rue – ainsi que le goût du vrai pain, enfin. Et puis, le fait maison, c'est aussi le coupé-maison. Maïa a eu droit à sa première coupe de cheveux, par sa maman pour que ça reste en famille. Une fois en quatre ans, à ce rythme, les ciseaux ont le temps de rouiller. Mais ses cheveux sont toujours aussi beaux, ceci dit avec toute l'objectivité d'un père de famille.


Notre précédente rencontre avec les marionnettistes Chris et Carlos au camping de Marindia nous a aussi permis de mieux découvrir l'univers de ces artistes à Montevideo. En effet, se tenait ces derniers jours un festival international de marionnettes, où se côtoyaient Uruguayens, Chiliens, Argentins, et donc Basque et Catalane. Nous sommes tous tombés sous le charme de ces spectacles qu'on croit trop souvent réservés aux enfants. C'était fascinant de voir la diversité des techniques pour un seul art : entre des marionnettes magnifiquement finies comme celles de Chris et Carlos, celles constituées entièrement de récup' et d'autres techniques hallucinantes – notamment une Argentine racontant une histoire avec du sable et un rétroprojecteur, il y avait de quoi rester ébahis. Du coup, Céline s'est lancé dans un chantier d'hiver : celui de construire une marionnette, dans le cadre de l'atelier proposé au camping par nos amis basco-catalans. A un prix défiant toute concurrence : 3000 pesos, l'équivalent de 90€, pour construire une marionnette en bois en trois mois. Voilà des gens qui savent ce que diffuser de la culture populaire veut dire.

La seule fausse note de ce week-end de marionnettes restera notre premier avalage de carte bancaire par un distributeur. Comme ça, sans raison particulière. Céline fera un aller-retour à Montevideo le lundi suivant pour rien : ici, une carte avalée est une carte détruite. Elle saura juste que « ce sont des choses qui arrivent » d'après l'employée du guichet. « Il suffit d'en demander une autre » ajoutera-t-elle. Ben ouais, facile. On sait désormais que retirer de l'argent au distributeur est un sport à haut risque.


Et puis, comme prévu, et après quelques imprévus, Fede, notre ami de Villa Serranna, est bel et bien venu nous voir pour construire le fameux four. Après avoir reporté une première fois sa venue faute de moyen de transport, il est finalement parti avec un ami mais a du endurer une bien triste journée, tombant en panne à vingt kilomètres de chez nous, devant attendre la journée durant une dépanneuse, qui le laissera finalement près de l'aéroport de Montevideo – vingt kilomètres dans l'autre sens – et faisant 10 kilomètres à pied en pleine nuit pour rejoindre la maison de sa mère. Mais rien de quoi le décourager : il arrivera chez nous le lendemain après avoir fait 20 kilomètres à vélo, refusant même un verre d'eau à son arrivée, affichant toujours une sérénité déconcertante. Tout ça pour nous aider à construire ce four, gratuitement. Il sera accompagné de Pablo, autre volontaire rencontré à Villa Serranna, dont nous avions bien senti l'envie lors de nos correspondances sur la Toile de venir nous rejoindre pour ce chantier. Accompagné de Nando, le compagnon d'Aude, c'est donc toute une équipe qui mettra la main à la pâte et les mains dans la terre. En deux jours, pour un budget de 30€, beaucoup de débrouille, un peu de récup' et une direction des opérations menée de main de maître par Fede, le four fut monté. Il a quand même fallu une séance particulière de torture : la technique artisanale remplaçant la bétonneuse, qui consiste à mélanger le sable et l'argile en l'écrasant avec les pieds, est beaucoup, beaucoup plus agréable sous 40° que sous 6°, avec une eau venant des dernières pluies, devant avoisiner les 0°. J'ai du rester une petite heure à barboter, et ai du mettre la journée avant de sentir de nouveau mes doigts de pied. Sport à haut risque aussi.

On était contents, finalement, de ces retards et imprévus de Fede, car cela signifiait que nous finissions le four un certain 9 juin, jour où Céline reçut, entre autres une photo de ses copains brestois qui la fit pleurer de plaisir. Bref, le jour de son anniversaire. J'avais discrètement sensibilisé Fede et Pablo pour qu'ils restent le soir venu, pour fêter ça. On trouvait que c'était un beau symbole que de fêter ce premier anniversaire hivernal avec ces nouveaux amis d'ailleurs. Mais c'était sans compter sur le caractère imprévisible de l'Uruguayen. Alors que nous nous apprêtons à préparer l'apéro et le repas, la pluie commence à tomber. Soudain, Fede et Pablo se lèvent : « bon, merci pour tout ! On va y aller parce que la pluie commence à tomber ». Ce n'est plus une barrière culturelle, c'est un gouffre. Si partir au moment de l'apéro relève de l'impensable et de l'impensé en Bretagne, prétexter la pluie est une donnée qu'un cerveau breton ne peut pas prendre en compte. Nous sommes restés ébahis, sans voix. D'autant plus qu'il n'y avait aucun malaise apparent – et nous nous sommes permis de les recontacter le lendemain pour nous en assurer. On nous avait prévenu que l'Uruguayen pouvait être comme ça, imprévisible sur les invitations. Dommage, d'autant plus qu'il méritaient amplement un bon repas après deux jours de travail comme ça, à l’œil. En sifflant, seuls mais heureux, notre bouteille de vin, on s'est dit qu'ici, au moins, on n'était pas au bout de nos surprises.


 
 
 

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