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Hiver austral

  • urbedall
  • 23 juin 2016
  • 5 min de lecture

C'est désormais officiel : nous sommes en hiver, depuis le 21 juin. Avec toujours un peu de mal à nous situer dans ce monde à l'envers – qui, parfois quand même, paraît bien plus à l'endroit que le Vieux Continent : c'est le solstice d'hiver qui est passé, les jours vont commencer à rallonger, mais pas de Noël en vue, ni de Fête de la Musique non plus. Et en plus, il y a un grand ciel bleu – bon, ça si, on a du le connaître une fois ou deux un 21 juin en Bretagne.

Car s'il fait toujours aussi froid, c'est un froid sec, et les journées sont agrémentées de beaux ciels bleus et de soleil à profusion, de quoi bien nous réchauffer. On en a donc profité pour passer une deuxième couche sur notre four en terre. Céline s'est même permise une petite décoration qui sied particulièrement bien au lieu, et le chat de Maria aussi. Au final, ce four aura un bel escargot et de magnifiques empreintes de chat. Du travail artisanal, quoi.


A part ça, nous commençons à prendre nos marques dans notre chez-nous, créant une certaine routine qui nous surprendrait presque après ces mois de pérégrinations, mais qui devient somme toute agréable. Comme les produits bio et naturels sont soit très chers, soit introuvables, la petite cuisinière qui crache son gaz quand ça lui chante devient l'outil n°1 de la maison. Céline a commencé à offrir des pains, tel Jésus, aux copains marionnettistes et à Dumas, le gérant du camping. S'il n'est pas encore cuit au feu de bois, ils en redemandent, et c'est plutôt encourageant. Le four nous permettra, on l'espère, de les multiplier. On ne sait pas comment faisait Jésus, mais il nous semble que cela reste le moyen le plus adapté.


Quant à moi, j'ai commencé mon volontariat à Isla Verde, une ferme permacole à Atlantida. Fred et Utah, que nous avions rencontré il y a quelques mois, développent un projet de forêt comestible : l'idée est de recréer l'écosystème d'une forêt, composée des plantes et des arbres comestibles. Au bout du compte, après un travail minutieux d'observation et d'organisation, cette forêt devient auto-suffisante et a besoin de peu d'entretien, la Nature réalisant son œuvre magique. Un Jardin d'Eden en quelque sorte. Mais pour l'instant, ce n'est pas exactement le cas : le couple d'Allemands, venus d'Allemagne pour refaire leur vie ici travaillent d'arrache-pied depuis 7 ans sur ce lieu de 47 hectares, ayant planté au jour d'aujourd'hui plus de 12000 arbres. Pour cela, il leur a fallu un investissement énorme, notamment en machines, capables de porter une quantité astronomique de mulch, provenant des déchets verts de la municipalité d'Atlantida, qu'il faut broyer pour ensuite les poser autour des arbres. Ainsi, depuis que je suis arrivé, Fred passe ses journées assis dans son tracto-pelle, à tracter, tracter, et encore tracter. Isla Verde est donc un projet atypique, une sorte de « permaculture industrielle » qui résonne comme un oxymore pour les puristes. Cela dit, ils ont réussi à mettre en place un écosystème contenant toutes les espèces d'arbres que comptent aujourd'hui l'Uruguay, font pousser des bananes, ce qui rend incrédules tous les locaux à qui nous le disons, et utilisent une bonne partie des déchets verts de la ville d'Atlantida, évitant ainsi des feux inutiles et un extraordinaire gâchis de matière organique.

Il faut dire que Fred et Utah n'ont pas le profil des néo-ruraux un peu babos souvent attachés au concept de permaculture : propriétaires d'une entreprise de pêche de plus de 50 salariés, ils sont arrivés ici pour refaire leur vie. Et parfois, l'histoire personnelle empêche de voir petit, ou pour dire autrement le petit de l'un peut être l'immense de l'autre. 47 hectares devait être la taille minimale pour ce couple plus habitué à l'industrie qu'aux circuits courts. Comme beaucoup des « riches » arrivés en Uruguay, nous n'en saurons pas plus sur les raisons de leur venue ici. « Les hasards de la vie » me répondra Fred, balayant l'interrogation d'un revers de main. Mais nous commençons à connaître les subtilités de ce beau pays, qui accueille volontiers des fortunés, leur offrant des conditions très avantageuses pour laisser leurs économies en paix. Utah me parlera plus de son enfance en Allemagne de l'Est, dont elle a un très bon souvenir : « quand j'étais petite, je faisais du théâtre, ça ne coûtait rien à mes parents. Aujourd'hui, c'est réservé à une certaine classe sociale. La vie n'était pas parfaite, mais était en tout cas bien meilleure que maintenant. » Un discours qui tranche étonnamment avec leurs convictions plutôt libérales. Car Fred et Utah restent des patrons dans l'âme. Et ici, si on est bien reçu, il faut rendre la pareille. Une Américaine arrivée en même temps que moi l'apprendra à ses dépends : au bout d'une journée, elle sera priée de faire ses valises. « Je ne sais pas trop comment dire ces choses-là, me confiera Utah. Mais ici, il faut travailler, parce qu'il y a du travail, c'est comme ça ! ». Et ça, pour travailler, on travaille. Je m'y mets donc moi aussi, pour ne pas subir le sort Koh-Lantesque de ma camarade Etats-Unienne d'un jour.

Un seul a droit, parfois, à un traitement de faveur : leur fils Ule, 13 ans, qui est sorti du système scolaire et se consacre donc à la permaculture. Un choix dicté par la raison, selon lui : « à l'école, je m'ennuyais, mais grave. Quand les professeurs devaient corriger des copies, ils le faisaient en classe, et nous, on restait là, sans rien faire ». Intelligent, très cultivé, Ule est aujourd'hui entre l'enfance et l'âge adulte. Pas toujours facile pour ses parents de lui imposer un rythme de travail après un tel changement, avec sans doute aussi une part de culpabilité de la part de sa mère de lui avoir imposé cette vie. Alors, il en profite parfois, redevenant un enfant de son âge – mais toujours à l'écart de son père, qui semble avoir gardé l'autorité paternelle.

Deux matins par semaine, je me lève donc avant l'aube pour parcourir à vélo les 12 kilomètres qui séparent notre maison d'Isla Verde. Avec parfois un froid presque polaire, qui transperce impitoyablement mes maigres gants et mes deux paires de chaussettes. Bon, ce ne doit être que du -1 ou -2°, mais c'est tellement exceptionnel qu'une radio de Montevideo organisât une de ces matinées un concours de photo « en blanc ». S'il y a de la neige, chose qui ne s'est pas vue ici depuis 30 ans, je ne vous raconte même pas la panique...


Maïa, elle, prend de plus en plus ses marques à l'école. Jusqu'à se faire une copine, une vraie de vraie. Du coup, Lia est venue « à la maison » (ça fait drôle de dire ça, purée) samedi dernier. C'est lorsque sa grand-mère l'amena que nous comprîmes que, pour Lia aussi, c'était la première fois qu'elle allait chez une copine. Pourtant, la mère et la grand-mère n'ont pas hésité une seconde à la laisser à ces drôles de Français qui ont eu l'idée saugrenue de passer l'hiver ici. Maïa, elle, était aux anges, toute excitée de passer l'après-midi à jouer avec une fille de son âge. Alors que je transportais les deux copines dans la carriole, j'entends Maïa lui parler, exprimant sincèrement sa joie d'être avec elle en espagnol. Je dus me retourner pour m'assurer qu'il s'agissait bien de ma fille qui parlait ce castillan impeccable. Les enfants sont des éponges, dit-on. Et commencent très tôt à garder leurs petits secrets.


 
 
 

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