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Au revoir l'hiver, bonjour l'incertitude

  • urbedall
  • 20 sept. 2016
  • 6 min de lecture

Donc voilà : nous aurons finalement traversé cet hiver marindien sans trop d'encombres. Avec quelques baisses de moral, souvent liées à l'évolution de la météo ; des moments de doutes, les jours de pluie, par exemple, quand on priait pour que nos murs en terre restent en place ; et la satisfaction d'avoir vécu en vrai dans un quartier populaire, c'est-à-dire au milieu de la précarité, du système D, de l'entraide et de la certitude que demain ne sera pas pareil à aujourd'hui, car l'électricité peut être coupée, car on peut se retrouver les pieds dans l'eau ou les mains dans la terre à réparer les trous du mur. L'incertitude du futur nous fait d'autant plus profiter du moment présent car ici, inutile d'anticiper les problèmes : il est bien assez tôt de les régler quand ils arrivent. Nous partons donc de Marindia la veille officielle du printemps, un peu plus Uruguayens, mais sans que les coups de feu, les sirènes de police ou les ornières et les piscines des chemins de terre risquent de nous manquer. Nous regretterons plus le marché populaire de Salinas, celui de notre première expérience de vente ambulante, ou l'épicier du quartier, s'étant juré d'apprendre le français pendant notre séjour et qui nous accueillait toujours par un « Bonchooouuur ! Commint ça vaaaa ? » avant de nous demander la traduction de chaque produit qu'on achetait. « Agua, c'est doulou ? Si je vais en France et je dis « doulou », on me comprendra ? » Oui, oui, on finira par te comprendre...

Une petite étape dans nos vies qui, en tout cas, nous aura fait grandir, nous aura définitivement fait apprécier ce qui nous semble le plus important dans le confort moderne et ce, aussi, dont on peut se passer. En bons petits occidentaux de la classe moyenne, nous aurons également fait une longue rencontre avec le Froid, le vrai, sans qu'il ne nous terrorise pour autant. C'est sûr, où que l'on soit, la prochaine panne de chaudière nous paniquera moins.


Aussi, surtout, cette étape de presque quatre mois aura été très bénéfique pour Maïa, pour qui une vie de quartier et une vie d'école lui auront donné quelques bons repères. Et lui auront permis de communiquer, en vrai : tellement imprégnée du parler l'uruguayen qu'elle parle maintenant français avec un délicieux accent d'ici, laissant traîner les dernières syllabes des phrases comme le font les Uruguayens, un peu par nonchalance, un peu, sans doute aussi, pour faire durer ce plaisir tout simple de discuter avec l'autre. L'après-midi avec ses copines de classe, le soir avec Giuliana, Maïa avait plus l'occasion que nous d'échanger en castillan. Malgré la différence d'âge, la petite dernière de Vecino adorait se fourrer chez nous, et Vecino lui-même nous le confirmera : « Maïa va lui manquer ». En retour, Giuliana nous aura fait découvrir quelques us et coutumes de son peuple, avec son éternel sourire innocent. Comme celle de la « plante à dollars » qu'Aude a plantée à côté de l'entrée : «on l'appelle la plante à dollars parce qu'elle amène la fortune. Nous aussi, on en a une chez nous ». On se mord les lèvres pour ne pas jouer d'une ironie qui serait mal placée. Mais il ne faut pas exagérer : on veut bien, à l'avenir, jeter les bols cassés, mais on ne remplacera pas les patates et carottes du jardin par la plante à dollars. Horribles cartésiens que nous sommes.


Il aura fallu aussi dire au revoir à l'école de Maïa, remercier Monica et Fernanda, la mère et la fille qui s'occupent avec amour de la dizaine d'enfants qu'ils ont à garder, avec une bienveillance et un sens de la pédagogie remarquables. Elles auront prévu une fête de despedida à Maïa, et nous remettront, le dernier soir, un cahier rempli de ses réalisations avec quelques petits mots prouvant leur affection sincère. « Elle va vraiment nous manquer, Maïa, nous dira Monica. Elle s'était admirablement bien adaptée, elle s'est tout de suite fait ses copines, et elle était très attentionnée avec les plus petits. Ça se voit que vous êtes une famille heureuse. » Avant de lâcher : « les crêpes, aussi, vont nous manquer ! »

Comme les choses sont bien faites, le dernier jour d'école sera celui des vacances de printemps. Le lendemain, nous avions prévu une fête à la maison, avec toutes ses copines d'école, plus Giuliana. Et Adrian, dont on sentait bien l'envie de venir, et qui finira par nous répondre, un peu honteux car la fierté masculine empêche de dire ces choses-là : « c'est aussi mon amie à moi, Maïa ».


Au final, de fête, il ne faillit pas en avoir. La faute au caractère imprévisible de l'Uruguayen. Il est tellement difficile de dire « non » ici qu'on en sait plus trop ce qu'un « oui » veut dire. Une heure avant la fête, un premier texto nous arrive nous prévenant que Sol ne viendra pas, sans doute du fait de la grand-mère, rencontrée la veille, et qui n'avait pas mâché ses mots pour nous exprimer toute la corvée que représentait pour elle le fait d'amener sa petite-fille à une fête avec ses copines. Pas de Sol, donc. Je me pointe à l'école à 14h, lieu et heure du rendez-vous avec la maman de Kiara, tant il est difficile, ici, d'expliquer un itinéraire dans l'entrelacs des chemins de terre et de leurs piscines à ciel ouvert. Au bout de vingt minutes, ne voyant rien venir, je l'appelle. « Ah oui, c'est vrai, y avait ça, me répond la mère avec une nonchalance que, là, je goûte très peu. Mais en fait, là, je fais du shopping avec une copine et ma fille est avec une autre copine, elles s'amusent bien, donc j'aurai pas le temps de passer ». Prends ça, pleine face. J'aurais, à coup sûr, préféré : « rien à f... de ta p.... de fête, sales Français de m..., rentrez chez vous », j'aurais trouvé ça moins violent. Le côté face de cette tranquillité, de cette absence de stress si caractéristique des Uruguayens, c'est ça : une conception toute relative de l'engagement. Delphine, une Française installée ici, propriétaire d'un magasin de vêtements, nous avait témoigné de son impuissance face aux surprenants comportements de ses employés. « Un jour, il y en a une qui m'a quand même sorti, au téléphone : « je ne pourrais pas venir aujourd'hui, mes baskets sont mouillées. » Quand même...»

Giuliana et Adrian, eux, sont chez leur mère, et si Vecino nous dira après coup qu'ils voulaient s'échapper pour participer à la fête, on ne les voit pas venir. Maïa prend l'affaire beaucoup mieux que nous, qui faisons la soupe à la grimace, énumérant les copains qui ne viendront pas pour finir par conclure : « … Mais du coup, y aura Lia, quand même ! ». On l'espère. Au final, avec 1h45 de retard, « l'heure trois quart uruguayenne » pourrait-on dire, Lia arrive avec Mirian sa maman. Ouf. Elles ne sont que deux, mais ce sont les deux meilleures amies du monde, pas ébranlées pour un sou que la fête soit si intime. Une chasse aux trésors épique, avec même l'apparition d'un monstre qui effraiera Lia, qui finira la chasse avec un bâton « au cas où il revienne », et fera bien rire Maïa, qui y verra une ressemblance aussi troublante que vexante avec son papa.

Sergio, le père de Lia nous rejoindra en début de soirée, après avoir terminé sa journée de travail. Lui et Mirian ont ouvert une pharmacie à Montevideo, se lèvent à 5h tous les matins pour ouvrir à 8h, fermer le soir à 20h. 6 jours sur 7. Pas de vacances, depuis quatre ans pour Sergio, qui est épuisé, et ça se voit : « Quand on ne peut pas avoir de vacances, on ne voit jamais le bout du tunnel, c'est crevant, à force. » Sergio a une sœur à Grenoble et une connaissance toute partisane de la société française : « son mari travaille dans l'électronique, il gagne 7000€ par mois, c'est à peu près ce qu'il faut pour vivre bien, non ? ». A peu près, oui. Nous nous promettons de rester en contact, eux se jurent de voyager en France quand ils pourront se payer des vacances, et on se verra là-bas si nous, on y retourne. Inch'Allah. Inch'A l'Uruguayenne, plutôt. C'est souvent motivant, parfois pesant : nos incertitudes à nous nous empêchent de penser le futur.

Mais c'est le bon endroit pour s'y habituer.


 
 
 

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