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Le changement (climatique), c'est maintenant

Cette fois, pas de blague : on se rappelle trop bien de la stupeur et l'incompréhension de Maïa, il y a 4 mois, quand elle découvrit que le colis qu'on attendait à l'aéroport n'était autre que sa grand-mère et sa Tata. Cette fois, pour l'arrivée de ses cousines, ce fut une attente patiente. Trois, deux, un dodo, la fin du compte à rebours nous prouvant définitivement un fait scientifique avéré : quand un Breton touche le sol uruguayen, il pleut. Avis aux futurs visiteurs. Là, pour le coup, le mauvais temps nous a même causé quelques frayeurs, tout en gâchant en partie les vacances express de la famille ayant traversée l'Atlantique pour nous voir.


Il faut dire que l'Uruguay est un pays à mettre un climato-sceptique – pourquoi pas un président des Etats-Unis fraîchement élu, et qui a l'air d'aimer ce pays - dehors pendant une tempête, accroché au toit d'une maison bordant une plage de Punta del Diablo, histoire de lui faire passer son révisionnisme scientifique. Cela fait deux ans, nous explique Beatriz, notre logeuse attitrée à Montevideo, que ces tempêtes et ces tornades inexplicables rentrent ici sans sonner, à n'importe quelle saison. Trois jours après l'arrivée des cousines Selma et Lucie, accompagnées de leurs parents Gwenola et David, nous n'eûmes pas d'autre choix que de nous enfermer dans notre hostel, dont moi et Céline avions la charge en l'absence de Nacho et Judith, repartis quelques temps à Rosario. Une formation à l'uruguayenne, c'est-à-dire sur le tas. Ici, pas de notice « en cas d'urgence », alors il a bien fallu improviser lorsque l'électricité fut coupée. Dans la vie, rien ne se passe vraiment comme prévu, comme lorsque nous accueillîmes seuls notre premier client. Le matin d'avant-tempête, David, le lève-tôt de la bande, frappe à la porte de notre chambre : « Euh, désolé de vous réveiller mais y a un client qui est là, qui voudrait des renseignements ». Me voilà quasi en pyjama, l'haleine fétide du matin, la tête encore dans le bol, à essayer de trouver mes mots pour lui présenter l'hostel. Rodrigo, voyageur en sac à dos et skate-board, semblait plutôt amusé de la situation. En bon Chilien, donc expert en tempête et tremblement de terre, il nous diagnostiquera l'équivalent d'un petit séisme pour cette tempête infernale. Il faut dire que dans les chambres du haut, l'édifice bougeait avec le vent. Une nouvelle pas franchement rassurante, mais qui montre que ce pays n'est pas préparé à de telles intempéries. Et encore, il semblerait que nous ayons eu de la chance : vingt kilomètres plus loin, le vent emporta une trentaine de maisons de bord de mer, dans un de ces villages fantômes l'hiver, où la moindre chambre est à louer. Cruel destin que de voir sa maison réduite à néant juste avant la période touristique, celle où tout le monde, ou presque, tire son revenu pour l'année.


Le coupure d'électricité fut générale, et dura presque deux jours. L'épicière, préoccupée par son stock de laitage et de charcuterie qui menaçaient d'être définitivement perdus, pesta contre cette injustice qui veut que Punta del Diablo soit victime de sa situation géographique : « on est au bout du bout, alors que voulez-vous ! C'est toujours chez nous que l'électricité revient en dernier ! » Comme un air de déjà vu, entendu, vécu.


Une semaine plus tard, ce sera la même musique pluviale, en revenant de l'aéroport après y avoir déposé la famille. En une heure à peine, les routes de Montevideo, en bitume pourtant celles-là, s'étaient transformées en piscines de plein air. Nous avions loué une voiture pour le séjour de la famille, et je me demandai bien pourquoi, lorsque, en face de ma première piscine, il fallut bien que je me lance, les roues disparaissant dans ces flaques immenses, les 4x4 sur la voie d'à côté nous aspergeant allègrement de toute la flotte que rejetaient leurs roues qui étaient presque à hauteur du toit de notre petite titine.


On s'était déjà rendus compte que nous n'avions pas le bon fluide pour la bagnole, ici. Sûr et certain, le vélo, c'est bien plus cool. Le dernier dimanche, alors que le soleil était enfin au rendez-vous, nous nous apprêtions à repartir tranquillement, en deux jours, vers Montevideo, quand nous voyons, un brin désespérés, un des pneus arrières à plat. Nous voilà à faire 20 kilomètres pour trouver la première gomeria – atelier de réparation de pneus. Sur les routes défoncées du pays, les crevaisons sont tellement fréquentes qu'une foultitude de garages se sont spécialisés dans la rustine. « Sauf le dimanche », complète le rustineur que nous rencontrons. Et puis, un Uruguayen reste un Uruguayen : « bon, allez, je vais pas vous laisser dans la m...., j'ouvre mon atelier, mais rien que pour vous ». En réalité, cinq minutes après, un autre automobiliste lui suppliera de lui venir en aide. Notre garagiste se pliera de bonne grâce, ne voyant pas comment il est possible de faire autrement : « pourquoi, comment ils font en France ? Ils disent : « on est fermés » et basta ? » C'est à peu près ça, oui.

En réparant, ils nous fera découvrir les manières très spéciales d'un oiseau typique de la région : « vous voyez les immenses nids qu'ils font au bord des routes ? Ça demande un sacré travail, à le construire, brindille par brindille. Et bien, ils travaillent dessus tous les jours.... sauf le dimanche ! Le dimanche, ils se reposent. » Dans ce pays où le syndicalisme est un des plus puissants au monde, on peut se demander si l'Homme ne descend pas en réalité de l'Oiseau.

Labour sul, labour nul, dit-on en Bretagne (travail du dimanche, travail nul). Nous aussi, nous avons nos croyances, qui se vérifient. Suite à la tempête, c'est une énième coupure de courant qui empêchera notre volontaire garagiste de faire correctement son travail. Résultat : alors que nous nous entassons à sept dans la plus rikiki des voitures, le pneu ne mit pas longtemps à déclarer, de nouveau, forfait. Nous décidâmes de prendre notre mal en patience, déposâmes Céline et Maïa in extremis au bus de Rocha pour qu'ils nous rejoignent à Marindia, où nous nous retrouvons le soir, après une ballade plutôt fatigante avec une roue de secours nous interdisant de rouler à plus de 80km/h. Le lendemain, je laisse le pneu mal réparé dans un garage de Marindia, prévenant le gars que je repasserai dans une demi-heure. 30 minutes plus tard, je me retrouve face à une porte close. Pas de mot, rien. « le garagiste a du avoir une urgence », m'explique Dumas, le gérant du camping chez qui nous avons passé la nuit. « Oui, mais là, on doit partir, quand même ! » je réponds, un brin agacé. Dumas me regarde, un peu désespéré, du genre « ben oui mon gars, ici, c'est comme ça ». Il faudra poireauter deux heures avant qu'un autre mécanicien ne revienne au travail. Lui non plus ne sait pas pourquoi son collègue a du fermer, mais ça ne l'étonne pas plus que ça. Il s'étonne plutôt que ça puisse m'énerver, alors, il me la fera gratos, parce qu'ici, on cherche toujours à coopérer. Il faut le dire : la coolitude des Uruguayens, qui nous enchante 90% du temps, qui permet à un gars de nous dépanner lors de son seul jour de repos – mal, certes, mais c'était pas de sa faute -, ça a aussi son côté face, le mauvais côté de la nonchalance. Mais, en fait, on le sait maintenant : c'est juste parce que la bagnole, c'est pas pour nous.


Bien heureusement, Maïa et les cousines seront bien au-dessus de ces considérations climato-pneumatiques. Pendant dix jours, elles ne se quitteront pas d'une semelle, avec cette impression bizarre qu'elles s'étaient séparées lorsque Maïa était encore un bébé, et qu'elles se retrouvent cette fois entre petites filles. Ensemble, nous visiterons à pied, en voiture, à vélo, ce que permettent dix petits jours dans ce bout du bout de l'Uruguay. Ensemble, elles joueront à des jeux de société, Maïa prenant pour une fois le rôle de la grande en leur apprenant l'espagnol, qui sera assimilée plus vite qu'il n'en faut pour l'écrire par ses cousines. Ensemble, les grands auront aussi leurs moments pour refaire le monde, parfois à la lueur de la bougie, où nous réussirons l'exploit de préparer des caïpirinhas, ce breuvage local qui ne restera ni dans le cœur ni dans le foie d'une des visiteuses – majeure, ça va sans dire.


Et puis, la famille est repartie dans le froid de l'automne breton. Depuis, la chaleur a fait une bien belle apparition. L'été approchant, on se dit qu'on devrait voir surtout des beaux jours, maintenant. Mais il faudrait être sacrément climato-sceptique pour penser qu'on n'aura plus de tempête. La coolitude uruguayenne, c'est aussi de vivre au jour le jour, de profiter du soleil et du ciel bleu quand il est là. On les prend, ces bons côtés.


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